Hyperkaliémie, insuffisance cardiaque congestive et antagonisme des récepteurs de l’aldostérone

Pathophysiologie

La pathophysiologie de la façon dont l’hyperkaliémie se développe est typiquement multifactorielle. Chez les patients atteints d’ICC, l’hyperkaliémie est liée aux contributions variables de deux processus de contrôle : les altérations de la distribution transcellulaire du K+ et les anomalies de l’équilibre externe (comme c’est le cas lorsque la clairance rénale normale du K+ chute).

La grande majorité du K+ corporel total se trouve dans le compartiment intracellulaire. Les altérations des concentrations sériques de K+ peuvent résulter de deux défauts dans la manipulation cellulaire : premièrement, le K+ peut rester localisé dans le compartiment extracellulaire alors qu’il devrait circuler dans et hors du compartiment cellulaire, deuxièmement, une libération rapide du compartiment cellulaire peut se produire. Ce processus entraîne des augmentations soudaines et souvent mortelles du taux de K+ sérique. Les circonstances qui se prêtent à une réduction de l’entrée cellulaire de K+ et qui sont fréquentes dans l’ICC comprennent le diabète avec carence concomitante en insuline, l’hyperosmolarité récurrente en association avec l’hyperglycémie, l’augmentation de la dose du bloqueur et l’acidose métabolique progressive. Le traitement par l’insuline, la correction de l’hyperglycémie, l’arrêt (ou la réduction de la dose) du bloqueur et/ou la correction attentive de l’acidose métabolique favoriseront l’entrée cellulaire du K+ et corrigeront ainsi cette forme d’hyperkaliémie.

Les patients ayant un apport élevé en K+ sont plus problématiques car ils peuvent facilement dépasser la capacité d’excrétion du K+ du rein dans le cadre d’une ICC. Il est souvent conseillé aux patients recevant des régimes diurétiques puissants de suivre un régime riche en K+ et/ou de prendre des compléments alimentaires en K+ (sels de potassium ou substituts de sel) car un traitement diurétique intensif peut aboutir à une hypokaliémie importante. Lorsque l’ICC s’aggrave et que la fonction rénale décline, les diurétiques deviennent généralement moins efficaces, ne serait-ce que parce que la charge de sodium filtrée diminue parallèlement à la baisse du taux de filtration glomérulaire (TFG). Par conséquent, l’excrétion de K+ diminue et le risque d’hyperkaliémie augmente si le patient continue à consommer beaucoup de K+. Ce scénario évolue rarement en l’absence d’insuffisance rénale.

L’excrétion de K+ est diminuée par deux mécanismes généraux dans l’ICC. Le premier est une réduction du DFG, qui est assez fréquente dans l’ICC et peut être présente malgré une valeur de créatinine sérique “normale”. Deuxièmement, une réduction de l’excrétion de K+ découle souvent de la pharmacothérapie de l’ICC, qui comprend des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC), des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARA) et des antagonistes des récepteurs de l’aldostérone comme la spironolactone. Dans ce cas, l’excrétion de K+ est réduite par une diminution de la production d’aldostérone et/ou une interférence dans son effet. Cependant, les inhibiteurs de l’ECA provoquent rarement une hyperkaliémie pertinente si la fonction rénale est dans une fourchette relativement normale.

Parce que les inhibiteurs de l’ECA sont l’épine dorsale du traitement de l’ICC, leur utilisation continue en toute sécurité face à l’hyperkaliémie pose un défi thérapeutique important. Les inhibiteurs de l’ECA (et les ARA) provoquent une hyperkaliémie par de multiples mécanismes, notamment des modifications soudaines du DFG et de la sécrétion d’aldostérone. Une baisse du DFG induite par les IEC peut être brutale et importante, en particulier chez les patients atteints d’ICC dont la filtration glomérulaire avait été préservée par une augmentation du tonus artériolaire efférent liée à l’angiotensine II. Cela peut se produire soit lors de l’introduction de l’inhibiteur de l’ECA, soit au cours d’un traitement chronique chez un patient souffrant d’ICC, par ailleurs stable, qui développe une maladie volumique intermédiaire, telle qu’une diarrhée ou une mauvaise prise orale, ou qui est surdiurisé par inadvertance. Le traitement par ARA peut également s’accompagner d’une séquence identique d’événements. Cependant, le traitement par ARA semble être associé à un effet de moindre ampleur sur l’homéostasie du K+.

Dans une comparaison récente de l’inhibiteur de l’ECA lisinopril avec l’ARA valsartan chez des patients souffrant d’insuffisance rénale ou de diabète, le traitement par lisinopril a entraîné une augmentation plus importante du potassium sérique (0,28 mEq/L contre 0,12 mEq/L), qui n’a pas été expliquée par des changements différentiels de la fonction rénale ou de la concentration plasmatique d’aldostérone. Seules des études comparatives de plus grande envergure permettront de déterminer si cette différence entre classes existe ou non pour les IEC et les ARA chez les patients atteints d’ICC.

La spironolactone est apparue comme un traitement d’appoint important chez les patients atteints d’ICC. Une étude à long terme (The Randomized Aldactone Evaluation Study ) de l’effet de la spironolactone sur la morbidité et la mortalité chez les patients atteints d’ICC sévère et recevant déjà un traitement conventionnel de l’insuffisance cardiaque, offre un aperçu de l’incidence de l’hyperkaliémie chez ces patients. Dans une courte étude de dosage qui a précédé l’étude RALES, une hyperkaliémie est survenue chez 20 % et 24 % des patients atteints d’ICC traités par 50 mg/j et 75 mg/j de spironolactone, respectivement. Ainsi, dans l’étude RALES, le traitement par spironolactone a été initié à une dose quotidienne de 25 mg avec une option de réduction de la dose à 25 mg tous les deux jours si les concentrations sériques de K+ augmentaient dans une fourchette hyperkaliémique ou d’augmentation de la dose à 50 mg par jour après 8 semaines chez les patients présentant des symptômes ou des signes d’aggravation de l’insuffisance cardiaque.

Après 1 an de traitement par 25 mg de spironolactone par jour, la concentration médiane de K+ avait augmenté de 0,3 mmol/L de manière statistiquement significative. Il y a eu 10 cas d’hyperkaliémie grave dans le groupe placebo et 14 cas d’hyperkaliémie grave dans le groupe traité par la spironolactone. Il est important de noter que cette étude excluait les patients dont le taux de créatinine sérique était >2,5-mg/dL (221 µmmol/L) et dont le taux de K+ sérique de départ était >5,0 mmol/L. En outre, l’utilisation à long terme d’agents connus pour interagir avec la spironolactone, augmenter le risque d’hyperkaliémie ou faire les deux n’était pas autorisée. Des suppléments de K+ ont été utilisés par 29% des patients du groupe spironolactone. Il convient de souligner que dans la pratique clinique, le respect du critère d’exclusion de la créatinine sérique de >2,5 mg/dL dans l’étude RALES peut toujours entraîner une hyperkaliémie potentiellement mortelle. De plus, la spironolactone est maintenant plus largement utilisée sans considération de la classe d’insuffisance cardiaque et de la fraction d’éjection et sans optimisation du traitement de fond par les IEC et les bloqueurs .

Dans la récente étude EPHESUS (Eplerenone Post-Acute Myocardial Infarction Heart Failure Efficacy and Survival Study), l’antagoniste des récepteurs de l’aldostérone, l’éplérénone, s’est avéré réduire significativement la morbidité et la mortalité associées à la dysfonction ventriculaire gauche et à l’ICC chez les patients ayant subi un infarctus du myocarde, par rapport au placebo. Dans cette étude, les taux de K+ ont augmenté dans les deux groupes à 1 an (de 0,2 mmol/L dans le groupe placebo et de 0,3 mmol/L dans le groupe éplérénone, p <0,001). Dans cette étude, une hyperkaliémie grave a été définie comme une concentration sérique de K+ ≥ 6,0 mmol/L et est survenue chez 5,5 % des patients traités par l’éplérénone, contre un taux d’occurrence de 3,9 % dans le groupe placebo. Douze et trois patients ont été hospitalisés dans les groupes éplérénone et placebo, respectivement. Dans cette étude, l’hospitalisation a eu lieu à la discrétion de l’investigateur. Il convient de noter qu’en général, l’hospitalisation pour une hyperkaliémie est un processus aléatoire et qu’elle peut ne pas donner lieu à un meilleur résultat que celui obtenu par la prise en charge ambulatoire de l’hyperkaliémie.24 Dans chaque groupe de traitement, l’incidence de l’hyperkaliémie était plus élevée chez les patients des strates inférieures de la clairance de la créatinine. Par exemple, parmi les patients dont la clairance de la créatinine de départ était inférieure à 50 ml/min, l’incidence de l’hyperkaliémie grave était de 10,1 % dans le groupe éplérénone et de 5,9 % dans le groupe placebo. Chez les patients dont la clairance de la créatinine de départ était supérieure ou égale à 50 ml/min, les taux correspondants étaient de 4,6 % et de 3,5 %, respectivement. Il convient également de souligner que l’éplérénone a réduit de manière significative le risque d’hypokaliémie, qui était deux fois plus élevé que le risque d’hyperkaliémie grave.

Enfin, de nombreux autres médicaments peuvent entraîner une hyperkaliémie, notamment les anti-inflammatoires non stéroïdiens, la digitaline, l’héparine, la ciclosporine et le triméthoprime-sulfaméthoxazole. Il ressort de cette liste qu’une vigilance constante est nécessaire pour prévenir la survenue d’une hyperkaliémie chez les patients atteints d’ICC.

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