La dépression suite à un TBI Peut-elle être prévenue ?

Chaque année, 1,7 million de personnes aux États-Unis subissent une lésion cérébrale traumatique (TBI), et près de 1,1% des Américains vivent avec un handicap lié à la TBI.1 Les troubles psychiatriques compliquent fréquemment le cours de la récupération après une TBI et se produisent à des taux dépassant ceux de la population générale. La dépression majeure est le trouble psychiatrique le plus fréquent après un TBI, affectant environ 29,4 % des patients au cours de la seule première année suivant le traumatisme.2 La dépression associée au TBI contribue à un risque de suicide plus élevé, à une altération des fonctions exécutives, à une moins bonne réinsertion sociale et professionnelle et à une diminution de la qualité de vie.3

L’évolution chronique et récurrente de la dépression associée au TBI constitue un défi pour la prise en charge des patients affligés. Les deux tiers des patients déprimés un an après la blessure le restent la deuxième année, et le risque de dépression reste élevé pendant 20 à 30 ans après la blessure.3 Dans un petit essai (N = 21) sur l’efficacité du citalopram pour prévenir les rechutes chez les patients souffrant d’une dépression rémittente associée à un TBI, plus de la moitié de l’échantillon a rechuté dans un délai moyen de 6 mois.4 La prévalence élevée, la chronicité et les conséquences potentiellement irréversibles de la dépression post-TBI soulignent l’importance de développer des interventions ciblant ce trouble.

Les travaux antérieurs dans le domaine de la dépression associée au TBI ont porté sur les stratégies de traitement. Des résultats contradictoires ont été observés dans les essais contrôlés randomisés (ECR) examinant l’efficacité de la pharmacothérapie pour le traitement de la dépression associée au TBI. Les résultats d’un ECR à double insu portant sur des patients souffrant de dépression associée à un traumatisme crânien et ayant reçu de 25 à 200 mg de sertraline n’ont pas montré de différence statistiquement significative dans la gravité des symptômes dépressifs par rapport au placebo après 12 semaines de traitement.5 Les ECR portant sur des traitements non pharmacologiques ont également donné des résultats contradictoires quant à leur efficacité pour traiter la dépression associée à un traumatisme crânien.6

En général, les stratégies préventives sont plus efficaces que les interventions thérapeutiques pour diminuer le fardeau d’une maladie. Notre groupe a publié des preuves préliminaires soutenant l’efficacité de la sertraline pour la prévention de la dépression associée au TBI, mais les stratégies préventives pour la dépression associée au TBI restent sous-développées.7

Définir la prévention

Les cliniciens sont peut-être plus familiers avec les concepts de prévention primaire, secondaire et tertiaire. La prévention primaire fait référence aux interventions protégeant contre une maladie avant son apparition, tandis que la prévention secondaire fait référence aux interventions précoces visant à prévenir la progression de la maladie. La prévention tertiaire se concentre sur les stratégies qui réduisent la morbidité d’une maladie après son apparition.

En raison des difficultés d’application de ce schéma à la prévention des troubles psychiatriques, l’Institute of Medicine Committee on the Prevention of Mental Disorders a recommandé en 1994 un nouveau schéma de classification englobant des stratégies de prévention universelles, sélectives et indiquées. Lorsqu’il est appliqué à la dépression associée à un TBI, ce schéma met l’accent sur la prévention d’un épisode dépressif avant qu’il ne commence.

La prévention universelle fait référence à des stratégies ciblant l’ensemble de la population ; dans le cas de la dépression associée à un TBI, un exemple serait l’application de lois contre la conduite sous influence afin de réduire l’incidence des TBI et donc de la dépression associée. Les interventions sélectives ciblent les groupes à haut risque. Les patients souffrant d’un TBI étant à risque de dépression, l’administration d’une intervention à tous les patients souffrant d’un TBI entre dans cette catégorie. Enfin, la prévention indiquée cible les patients présentant des signes précoces d’un trouble, comme les personnes atteintes d’un TBI qui présentent des signes précoces de troubles de l’humeur.

Les interventions pharmacologiques sélectives se sont avérées efficaces pour prévenir la dépression chez les patients présentant d’autres conditions médicales conférant des taux élevés de troubles de l’humeur. Les ISRS ont démontré leur efficacité dans la prévention de la dépression à la suite d’un accident vasculaire cérébral aigu et chez les patients atteints d’hépatite C traités à l’interféron.7,8

Une méta-analyse de 32 essais contrôlés randomisés comprenant 6214 participants de diverses tranches d’âge et comorbidités a révélé une diminution de 21% de l’incidence de la dépression majeure chez les participants exposés à des thérapies préventives par rapport aux témoins.9

Les stratégies préventives pour les traumatismes crâniens sont malheureusement peu efficaces. Malheureusement, les stratégies préventives pour le TBI sont à la traîne par rapport aux autres conditions médicales.

Interventions préventives pour la dépression associée au TBI

Peu de chercheurs ont examiné l’efficacité des interventions préventives pour la dépression associée au TBI comme résultat primaire. Étant donné la tolérabilité de la sertraline chez les patients souffrant de dépression associée à un TBI, notre groupe a mené un ECR en double aveugle, contrôlé par placebo, examinant l’efficacité des médicaments pour la prévention sélective de la dépression associée à un TBI.7

Une caractéristique unique de notre étude était l’administration d’une entrevue semi-structurée pour exclure activement les participants ayant des troubles dépressifs, anxieux ou psychotiques actuels au moment de l’inscription. De plus, les participants ayant des antécédents de troubles de l’humeur devaient être en rémission depuis au moins un an. Les critères d’exclusion supplémentaires comprenaient l’utilisation d’antidépresseurs dans les 6 mois précédant la blessure, l’échec historique d’un essai adéquat de la sertraline ou des antécédents d’effets indésirables de la sertraline ayant nécessité son arrêt.

Les participants ont été randomisés avec un schéma de randomisation par blocs permutés à la sertraline, titrée sur 10 jours à 100 mg par jour, ou au placebo pendant 24 semaines. Les participants ont été évalués en personne au début de l’étude, à deux semaines, à quatre semaines et toutes les quatre semaines par la suite. Un entretien semi-structuré a été mené par téléphone à 6, 10, 14, 18 et 22 semaines. Si un participant a signalé un symptôme d’ancrage pour un trouble dépressif au cours des 2 semaines précédentes, il a été évalué en personne avec le même entretien semi-structuré. Les participants dont les psychiatres expérimentés ont établi qu’ils souffraient d’un trouble de l’humeur ont été exclus de l’étude et orientés vers des soins psychiatriques de routine.

L’échantillon final randomisé comprenait 94 participants, dont environ deux tiers avaient subi un TBI léger-compliqué ou modéré. Les mécanismes les plus courants de TBI dans notre échantillon étaient les chutes (48%) et les accidents de voiture (38%). Les participants des groupes sertraline (n = 48) et placebo (n = 46) étaient similaires en termes de données démographiques, de gravité des blessures, de mécanismes de blessure, de fonctionnement cognitif, de handicap, d’exposition aux interventions de réadaptation et de mesures des symptômes d’anxiété, d’apathie et de SSPT.

Au cours de l’étude, un trouble dépressif est apparu chez 3 participants (6,3 %) du groupe sertraline contre 10 participants (21,7 %) (figure). L’analyse en intention de traiter a révélé que le risque de développer une dépression chez les participants recevant le placebo était environ 4 fois supérieur à celui des participants recevant la sertraline (HR = 3,6, IC 95 %, 1,1-16,2), test du rapport de vraisemblance Ï2 (1) = 4,6, P = 0,031). Le nombre nécessaire à traiter (NNT) pour obtenir un bénéfice à 24 semaines était de 5,9 (IC à 95 %, 3,1-71,1). L’effet du traitement est resté significatif après contrôle du score de l’échelle de coma de Glasgow, des antécédents de troubles liés à l’alcool et des antécédents de troubles de l’humeur.

Tous les cas incidents de dépression présentaient des caractéristiques de dépression majeure. Bien que les symptômes d’anxiété concomitants soient fréquents, ces participants ne répondaient pas aux critères d’un trouble anxieux. Un seul participant a développé des idées suicidaires dans le groupe placebo. Les risques de sécheresse de la bouche (odds ratio, 7,2 ; IC à 90 %, 1,9-27,6 ; P = 0,01) et de diarrhée (odds ratio, 2,3 ; IC à 90 %, 1,0-5,5 ; P = 0,10) étaient plus élevés chez les participants recevant de la sertraline, mais dans l’ensemble, la sertraline a été bien tolérée.

Dans une analyse de sous-groupe de participants sans trouble de l’humeur identifié (n = 67), la sertraline n’a pas eu d’impact significatif sur l’attention, la mémoire de travail, la mémoire épisodique, le contrôle exécutif, l’inhibition ou la vitesse de traitement par rapport au placebo. Fait intéressant, bien que l’on pense que les ISRS exacerbent l’apathie, le groupe sertraline a montré une diminution des symptômes d’apathie mesurés par l’échelle d’évaluation de l’apathie par rapport au groupe placebo qui a montré une augmentation des scores d’apathie (F = 4,73 ; P = .033).

À notre connaissance, le seul autre ECR à double insu et contrôlé par placebo d’une intervention pharmacologique pour la prévention de la dépression associée à un TBI a examiné l’effet de la sertraline dans un échantillon de patients souffrant principalement d’un TBI grave10. Dans cette étude, les participants ont été randomisés pour recevoir de la sertraline à 50 mg (n = 49) ou un placebo (n = 50) pendant 3 mois et ont été évalués pour la dépression à 3, 6 et 12 mois après leur inscription. Selon l’analyse en intention de traiter, l’incidence cumulative de la dépression (définie par un score limite de 6 sur la version à 6 éléments de l’échelle de dépression de Hamilton) au suivi de 3 mois était plus faible avec la sertraline qu’avec le placebo (Ï2 5,16, P = 0,024). Toutefois, cette différence n’était plus significative après 12 mois de suivi (Ï2 3,69 ; P = 0,055).

Ces résultats divergents peuvent s’expliquer par plusieurs différences méthodologiques. Par exemple, la dose et la durée de la sertraline dans ce dernier essai peuvent avoir été insuffisantes. Il est également plausible que l’effet préventif de la sertraline ne se produise que pendant la prise de l’antidépresseur. Cependant, nos résultats concordent avec l’absence d’amélioration significative des mesures de la concentration, de la vitesse de traitement, de la mémoire ou de la fonction exécutive dans le groupe sertraline par rapport au groupe placebo après 3 mois.11

Les études prospectives contrôlées des interventions non pharmacologiques font défaut.12 Dans une étude menée par Bombardier et ses collègues13, 7 appels téléphoniques d’un gestionnaire de soins de recherche qui abordait les problèmes en temps réel centrés sur le client après sa sortie de la réadaptation en milieu hospitalier ont réduit de façon significative les symptômes dépressifs après 12 mois par rapport à un groupe témoin. Cependant, 29 % de leur échantillon souffrait de dépression au départ.13

Scheenen et ses collègues14 ont comparé une intervention de thérapie cognitivo-comportementale en 5 sessions à un groupe témoin par téléphone chez 84 patients souffrant d’un TBI léger et présentant au moins 3 plaintes post-commotionnelles. L’intervention n’a pas eu d’effet statistiquement significatif sur le résultat primaire du retour au travail ou sur la sévérité des symptômes de dépression et d’anxiété à 6 ou 12 mois. D’autres études sur les interventions non pharmacologiques sont justifiées.

Barrières potentielles à la prévention

Le succès d’une intervention préventive dépend de sa facilité d’administration et de son acceptabilité par les patients et les cliniciens. L’acceptabilité des interventions pharmacologiques peut être entravée par la crainte des effets indésirables. Les résultats de notre étude sur la sertraline ont montré une augmentation modeste des risques de sécheresse de la bouche et de diarrhée par rapport au placebo.7 Cependant, à notre connaissance, les effets indésirables plus graves des ISRS n’ont pas été signalés dans les études de traitement et de prévention des patients souffrant de TBI, notamment l’hyponatrémie, les saignements gastro-intestinaux, les chutes, les fractures, l’hypomanie ou la manie. Les risques des ISRS doivent toujours être considérés sur une base individuelle.

On ne sait pas exactement comment les complications psychiatriques, neurologiques et autres complications médicales comorbides peuvent influencer la sécurité, la tolérabilité et l’impact global des stratégies visant à prévenir la dépression chez les patients souffrant de TBI. Dans notre étude sur la sertraline, 16 % des participants potentiels n’étaient pas admissibles en raison d’une démence, d’une maladie cérébrovasculaire ou d’une complication médicale grave. Un autre 27% des candidats ont été exclus en raison d’antécédents récents de dépendance à l’alcool ou aux drogues, même si l’alcool et la substance prémorbide sont des facteurs de risque importants pour le TBI et la dépression associée au TBI.7 L’efficacité des interventions préventives dans ces populations et d’autres populations spéciales de TBI reste inconnue.

La présence de troubles de l’humeur prémorbides et l’exposition aux antidépresseurs peuvent également brouiller la distinction entre la prévention et le traitement. Dans notre étude, 16% des patients sélectionnés pour l’éligibilité ont été exclus en raison de troubles de l’humeur ou d’anxiété actuels ou de l’utilisation de médicaments antidépresseurs dans les 6 mois précédant la blessure. Cependant, 22 % de nos patients randomisés avaient des antécédents lointains d’un seul épisode de dépression, et ils ont eux aussi bénéficié de la sertraline. Étant donné que les troubles de l’humeur et de l’anxiété préexistants sont des facteurs de risque pour le développement d’une dépression associée à un TBI, les études futures doivent se pencher sur l’effet des interventions préventives sur l’évolution des troubles de l’humeur chroniques.

Enfin, une proportion de patients peut refuser d’ajouter un autre médicament à leur régime déjà lourd. Dans notre étude sur la sertraline, 36% des sujets éligibles ont refusé de participer, parce qu’ils ne voulaient pas ajouter un autre médicament ou pensaient que la dépression ne se produirait pas.7 Le potentiel d’effets indésirables et les régimes médicamenteux lourds soulignent le besoin d’interventions non pharmacologiques plus efficaces, bien que ces interventions nécessitent la disponibilité de personnel formé.

Conclusion

La dépression après un TBI peut-elle être prévenue ? Notre étude sur la sertraline pour la prévention de la dépression associée à un TBI suggère que c’est possible. Cependant, nos résultats doivent être reproduits dans des échantillons plus importants et plus représentatifs de patients ayant subi un TBI pour garantir la sécurité et l’efficacité de cet ISRS ou d’autres ISRS. Le développement d’interventions non-pharmacologiques réalisables est grandement nécessaire. À l’heure actuelle, les preuves sont insuffisantes pour recommander la mise en œuvre de toute intervention pharmacologique ou non pharmacologique pour la prévention de la dépression associée à un TBI, et la sécurité du traitement prophylactique par ISRS pour les patients à haut risque doit être considérée au cas par cas.

Divulgations :

Le Dr Jones est professeur adjoint, et le Dr Jorge est professeur et directeur par intérim de la division de neuropsychiatrie Beth K. et Stuart C. Yudofsky, du département de psychiatrie et des sciences du comportement Menninger, du Baylor College of Medicine, à Houston, TX.

Les auteurs ne signalent aucun conflit d’intérêts concernant le sujet de cet article.

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