Introduction
L’antigène de surface de l’hépatite B (AgHBs), découvert en 1965 par Blumberg, est le marqueur clé du diagnostic de l’infection par le virus de l’hépatite B (VHB). La synthèse de l’Ag HBs est très complexe, elle a lieu dans l’hépatocyte par plus d’une voie et sa production dépasse ce qui est nécessaire à l’assemblage des virions1. L’Ag HBs peut être trouvé dans le plasma comme partie de structures filamenteuses ou sphériques sans capacité infectieuse qui peuvent former des immunocomplexes circulants avec les anti-HBs. La quantification de l’Ag HBs inclut les 3 formes (virions, sphères et filaments)2, et l’intérêt pour sa détermination est apparu il y a quelques années, lorsque certaines études l’ont associé aux niveaux intra-hépatiques d’ADNc. Bien que les premières tentatives de quantification aient été faites dans les années 1980, ce n’est qu’au cours de la dernière décennie que des techniques reproductibles et standardisées de quantification de l’Ag HBs sont devenues disponibles. Il existe désormais deux tests commerciaux, l’Architect QT assay® (Abbott Diagnostic) et l’Elecsys HBsAgII Quant assay® (Roche Diagnostic), qui présentent une très bonne corrélation avec les taux d’Ag HBs, quel que soit le génotype du VHB3.
Ces dernières années, de nombreuses études ont examiné le rôle de la quantification de l’Ag HBs dans l’histoire naturelle de l’hépatite B chronique et son utilité en tant que marqueur pendant le traitement par interféron ou par antiviraux oraux.
Utilité de la quantification de l’Ag HBs dans l’histoire naturelle de l’hépatite B
Il existe 4 phases dans l’évolution naturelle de l’histoire de l’hépatite B :
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Immunotolérance, caractérisée par une positivité de l’Ag HBe, des transaminases normales, un ADN du VHB très élevé et des lésions hépatiques minimes ou absentes.
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Immunoactivité/immunoclarance (Ag HBe positif, transaminases élevées, ADN VHB plus faible qu’au stade précédent et lésions hépatiques d’intensité variable).
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Porteur inactif (Ag HBe négatif, ADN VHB
2.000 UI/ml et transaminases normales persistantes.
Hépatite chronique HBeAg-négative (ADN du VHB>2 000 UI/ml, transaminases élevées et lésions hépatiques actives).
Pendant la phase d’immunotolérance, les taux d’AgHBs et d’ADN du VHB sont élevés. Dans une étude portant sur une cohorte de patients asiatiques présentant les génotypes B et C, les taux moyens d’AgHBs étaient de 4,53log10UI/ml, et significativement plus élevés chez les patients AgHBe positifs que chez les patients AgHBe négatifs4. Dans une autre étude réalisée en Asie, Chan et al.5 ont analysé 177 patients atteints d’hépatite B chronique non traitée sur une période de 99±16 mois. Les patients immunotolérants présentaient les taux d’ADN du VHB et d’Ag HBs les plus élevés (8log10UI/ml et 5log10UI/ml, respectivement). Au cours du suivi, la réduction moyenne de l’Ag HBs par an était de -0,006log10.
Les taux d’Ag HBs ont également été corrélés aux transaminases et à l’activité histologique. Dans une étude portant sur 140 patients HBeAg-positifs ayant subi une biopsie du foie et devant commencer un traitement, 17 ont été classés comme immunotolérants sur la base de paramètres biochimiques et sérologiques, et les 123 autres dans la phase d’immunoclarance. Les valeurs moyennes de l’AgHBs étaient de 105,020UI/ml (ALT normale), 40,490UI/ml (ALT 1-2 fois normale) et 9,362UI/ml (ALT>2 fois normale) (p
0,001). Les patients immunotolérants avec des transaminases normales n’avaient pas de fibrose ; lorsque l’ALT était inférieure à 2 fois la valeur normale, le pourcentage de patients sans lésion hépatique était de 78% ; et lorsqu’elle était supérieure à 2, ce pourcentage tombait à 33%. Les taux d’Ag HBs des patients sans fibrose étaient significativement plus élevés que ceux des patients présentant une fibrose importante. En revanche, les niveaux d’ADN du VHB n’étaient pas corrélés avec la lésion histologique. Dans une analyse multivariée, les facteurs associés à l’absence de fibrose chez les patients dont l’ALT est inférieure à 2 fois la valeur normale étaient le titre d’AgHBs>25 000UI/ml et le jeune âge6. D’autres études sont parvenues à des conclusions similaires et suggèrent que la quantification de l’AgHBs peut être utile dans la gestion des patients AgHBe positifs et éviter la biopsie du foie dans certains cas7.
Les directives de l’EASL et de l’AEEH différencient le porteur inactif de l’hépatite chronique AgHBe négatif par une valeur d’ADN du VHB inférieure à 2 000 UI/ml et un taux de transaminases constamment normal. Cependant, dans la pratique clinique, il existe des patients présentant des valeurs de virémie discrètement élevées ou des augmentations occasionnelles des transaminases chez lesquels il est difficile de déterminer de manière fiable le statut de porteur inactif ou l’hépatite chronique AgHBe négatif. De nombreuses études ont tenté d’évaluer l’utilité de la quantification de l’Ag HBs dans cette situation. Dans l’une d’entre elles, Brunetto et al.8 ont suivi 209 patients pendant une durée moyenne de 34,5 mois. Les taux d’AgHBs étaient significativement plus faibles chez les personnes classées comme porteurs inactifs, tandis que celles dont la virémie était inférieure à 20 000 UI/ml avaient des taux plus faibles que celles dont les taux fluctuaient (883 contre 4 233 UI/ml). Selon les auteurs, la combinaison d’un titre d’AgHBs de 1 000 et d’un ADN de VHB de 2 000 UI/ml permet d’identifier les ” vrais ” porteurs inactifs avec une valeur prédictive positive (VPP) de 88 % et une valeur prédictive négative (VPN) de 96,7 %. De plus, des taux d’Ag HBs inférieurs à 100 UI/ml peuvent prédire la négativité de l’antigène dans le suivi des patients infectés par le génotype B ou C9.
D’autres études ont corrélé la quantification de l’antigène et la prédiction de la séroconversion de l’Ag HBs10. Des données récentes sur la cinétique de l’AgHBs chez 203 patients au cours des 3 années précédant la séroconversion, comparées à autant de témoins non séroconvertis, ont montré des taux d’AgHBs significativement plus faibles chez les séroconvertis que chez les témoins à n’importe quel moment de l’étude. Chez 75 % des patients ayant obtenu une séroconversion, le taux d’AgHBs était inférieur à 100 UI/ml au cours des 3 années précédentes. Les meilleurs prédicteurs de la clairance de l’AgHBs étaient des valeurs d’AgHBs inférieures à 200UI/ml et leur réduction annuelle d’au moins 0,5log10. Dans une autre étude portant sur 103 patients Ag HBe négatifs, une valeur d’Ag HBs inférieure à 100 UI/ml a permis de prédire l’excrétion d’antigènes avec une sensibilité de 71 % et une spécificité de 91 %11.
Les niveaux d’ADN du VHB sont-ils en corrélation avec les niveaux d’Ag HBs ? Bien que les résultats soient controversés, plusieurs études s’accordent à dire que cette corrélation existe chez les patients AgHBe positifs et moins chez les patients AgHBe négatifs5,12,13. D’autre part, les taux d’AgHBs sont significativement plus élevés chez les patients co-infectés par le VIH que chez les patients mono-infectés14, et sont plus élevés chez ceux qui ne reçoivent pas de traitement antirétroviral que chez ceux qui sont traités, surtout si le nombre de cellules CD4 est inférieur à 200 cellules/mm3.
Utilité de la quantification de l’Ag HBs chez les patients sous traitement antiviral
De nombreux patients atteints d’hépatite B chronique sont actuellement traités par des antiviraux oraux de deuxième génération (entécavir ou ténofovir). Comme on le sait, les patients HBe-positifs doivent être traités jusqu’à la séroconversion en anti-HBe, et les patients HBe-négatifs indéfiniment. Le traitement par interféron pégylé (PEG-IFN) permet d’obtenir des taux de séroconversion de l’AgHBe plus élevés que les antiviraux oraux après un an de traitement, mais la tolérabilité est faible et la réponse est médiocre chez les patients AgHBe négatifs. Pour cette raison, plusieurs études ont tenté de déterminer la capacité prédictive de la quantification de l’AgHBs sur la réponse au traitement par PEG-IFN. Dans l’une de ces études, Sonneveld et al.15 ont analysé les taux d’AgHBs chez des patients AgHBe inclus dans 3 essais cliniques du PEG-IFN (monothérapie et association avec la lamivudine). Sur les 803 patients inclus, 23% ont éliminé l’HBeAg et 5% l’HBsAg 6 mois après la fin du traitement. Une diminution plus importante du taux d’AgHBs a été observée chez les répondeurs, même après ajustement en fonction du génotype ou du type de traitement (monothérapie ou association). Lorsqu’on a analysé la cinétique de l’AgHBs pendant le traitement, les patients dont l’AgHBs
1 500 UI/ml ont obtenu une réponse dans 45% des cas. A la semaine 24, des titres d’AgHBs supérieurs à 20 000 UI/ml ont permis d’identifier très précisément les patients ayant une très faible probabilité de réponse, quel que soit le génotype. Cependant, les auteurs de l’étude incluent le génotype dans l’algorithme de réponse à la semaine 12, de sorte que si les patients sont de génotype A ou D, le traitement doit être interrompu s’il n’y a pas de diminution du taux d’HBsAg, alors que s’ils sont de génotype C ou D, l’interruption doit avoir lieu si l’HBsAg dépasse 20 000 UI/ml.
Dans une autre étude réalisée en Asie,16 les patients présentant une diminution de l’Ag HBs supérieure à 1log10 et des taux inférieurs à 300UI/ml au mois 6 du traitement avaient une probabilité de réponse (définie par une séroconversion de l’Ag HBe et de l’ADN2.000UI/ml) de 75%, contre 15% chez les patients qui n’ont pas atteint cet objectif combiné.
Comme mentionné ci-dessus, les patients HBeAg-négatifs ont de faibles taux de réponse au traitement par PEG-IFN et sont difficiles à surveiller, ce qui rend encore plus important l’établissement de règles d’arrêt dans ce cas. En 2010, Rijckborst et al.17 ont évalué un total de 102 patients AgHBe négatifs traités par PEG-IFN et ont constaté que l’absence de diminution du taux d’AgHBs à la semaine 12 du traitement, associée à une diminution de moins de 2log10 de l’ADN du VHB, avait une VPN de 100%. Ces données ont été récemment validées par le même groupe sur une autre cohorte de 160 patients18 . L’importance du génotype du VHB sur la cinétique de l’AgHBs pendant le traitement et sa relation avec la réponse ont également été étudiées19. Des données très récentes suggèrent que les schémas de déclin sont similaires pour les patients de génotypes A, B et D, mais pour les patients de génotype C, aucune différence n’est observée entre les répondeurs et les non-répondeurs.
Un autre aspect particulièrement intéressant est l’analyse comparative de la cinétique de l’AgHBs entre les patients traités par PEG-IFN et ceux recevant des analogues nucléos(t)ido (NA). Les données disponibles suggèrent que le déclin de l’AgHBs est plus lent et moins prononcé chez les patients AN. Dans les 2 études d’enregistrement du ténofovir, les taux d’AgHBs ont diminué de façon plus marquée chez les patients AgHBe positifs que chez les patients AgHBe négatifs. Dans ces études, la perte de l’Ag HBs n’a été observée que chez les patients Ag HBe positifs dont les titres initiaux étaient plus élevés et qui présentaient une baisse de plus de 2log10 à 24 semaines de traitement. Des résultats similaires ont été observés dans un groupe de patients traités à la telbivudine : une baisse supérieure à 1log10 des niveaux d’antigène à un an de traitement était prédictive de la perte de l’AgHBs.20
Les patients HBeAg négatifs, en revanche, présentent une baisse moins prononcée de l’AgHBs. Certains auteurs ont suggéré qu’un déclin rapide de l’Ag HBs pendant le traitement pourrait identifier les patients qui finiraient par perdre l’Ag HBs9. La plupart de ces études sont menées sur un nombre relativement faible de patients, et des études contrôlées sont nécessaires pour évaluer si la mesure périodique de l’Ag HBs pendant le traitement AN est utile pour identifier les patients chez qui le traitement peut être interrompu.
Conclusions
Les taux d’Ag HBs varient selon le stade de progression de l’hépatite B et sont plus élevés chez les patients immunotolérants et plus faibles chez les porteurs inactifs (fig. 1).
Titre moyen d’AgHBs aux différents stades de l’hépatite B.
Le dosage de l’HBsAg peut être utile en pratique clinique dans certaines situations (tableau 1), notamment chez les patients traités par PEG-IFN, et peut aider à la prise de décision concernant le suivi et l’arrêt du traitement.
Utilités de la quantification de l’AgHBs en pratique clinique
Pendant l’histoire naturelle de la maladie | Pendant l’histoire naturelle de la maladie | Pendant le traitement |
– Faciliter le diagnostic des patients en phase immunotolérante – Diagnostic des “vrais” porteurs inactifs. | – Établir des règles d’arrêt chez les patients recevant de l’interféron pégylé- Dans le futur, envisager l’arrêt du traitement antiviral oral |
Des études chez les patients AgHBe négatifs traités par AN sont nécessaires pour identifier ceux chez qui l’arrêt du traitement est possible.