CCAR RESPONSA
Le nom hébraïque d’un converti
She’elah
Un juif par choix dans ma communauté ne souhaite pas accepter le nom hébraïque habituel bat Avraham avinu ve-Sarah imeinu. Elle s’oppose à ce nom pour deux raisons. Premièrement, puisque le nom annonce son statut de convertie, elle le trouve embarrassant et donc une violation possible de la règle selon laquelle on ne doit pas rappeler son passé à un ger/giyoret. Deuxièmement, ce nom ne tient pas compte de l’identité de ses parents actuels qui, bien qu’ils ne se soient pas joints à sa conversion, l’ont néanmoins élevée et aimée depuis sa naissance. Elle veut que son nom hébreu comprenne le nom de ses parents. Cela est-il permis ? Si oui, devons-nous trouver des équivalents hébraïques pour les noms de ses parents ? (Rabbin Gerald Raiskin, Burlingame, CA)
Teshuvah
Le nom du converti dans la tradition juive. Selon une pratique de longue date, nous désignons le Juif par choix comme “le fils/fille d’Abraham notre père” (ben/bat Avraham avinu). R. Yosef Karo, qui mentionne cette pratique dans son Shulchan Arukh, identifie comme sa source un responsum de R. Asher b. Yechiel (Allemagne et Espagne des 13e/14e siècles). R. Asher nous dit que le ger (converti) est appelé “le fils d’Abraham” parce qu’Abraham est appelé “le père de nombreuses nations” (Gen. 17:4-5). Cela suggère un débat talmudique concernant la mitsva des bikurim, ou “premiers fruits”. La Torah ordonne qu’une offrande des “premiers fruits” de la récolte soit apportée à Jérusalem, au prêtre qui avait l’autorité à cette époque, et que la personne qui apporte l’offrande récite une “confession” (vidu’i), une litanie exprimant notre gratitude pour avoir été sorti d’Égypte et pour avoir hérité d’un “pays où coulent le lait et le miel” (Deut. 26:1-11). La question : un converti récite-t-il cette confession lorsqu’il apporte ses bikurim au Temple ? La Mishna répond par la négative : le ger ne peut pas réciter le vidu’i car, comme ses ancêtres n’étaient pas juifs et n’ont pas hérité de la terre d’Israël, il ne peut pas sincèrement rendre grâce pour “la terre que Dieu a juré à nos ancêtres de nous donner (Deut. 26:3)”. Le Talmud Yerushalmi cite cependant le point de vue contradictoire de Rabbi Yehudah : le ger récite bien la confession, car Abraham, “le père de nombreuses nations”, est l’ancêtre spirituel des convertis comme des juifs de naissance.
Comment la tradition halakhique tranche-t-elle entre ces interprétations contradictoires ? Certaines autorités suivent la Mishna et étendent même sa règle, déclarant qu’un converti ne peut diriger ni la birkat hamazon (grâce après les repas) ni l’office de la synagogue (c’est-à-dire qu’il ne peut pas servir de sheliach tzibur) parce que ces liturgies, elles aussi, contiennent des mots qui semblent exclure le ger. Cependant, avec le temps, la vision plus inclusive du Yerushalmi a fini par prédominer. Un prosélyte peut donc diriger le service de culte et réciter toute partie de la liturgie qui parle de “nos ancêtres”, car ceux-ci sont également ses ancêtres.
Cette intuition n’a jamais été communiquée aussi clairement et avec autant de force que par Maïmonide, dans une téchouva à un juif par choix nommé Ovadyah :
Vous demandez si vous pouvez réciter en privé et en public les mots “notre Dieu et le Dieu de nos ancêtres”, “qui nous a sanctifiés par les mitzvot et nous a commandés”, “qui nous a choisis”, “qui a fait des miracles pour nos ancêtres” et d’autres déclarations similaires dans la liturgie. Vous pouvez les réciter toutes ; vous ne devez pas en changer la formulation ; vous devez réciter les bénédictions et les prières selon les mêmes formules que celles utilisées par les Juifs de naissance… L’essentiel est que notre père Abraham a enseigné le judaïsme, la foi en un Dieu unique et le rejet de l’idolâtrie à tous les peuples, en faisant passer beaucoup d’entre eux sous les ailes de la Présence divine… Par conséquent, quiconque se convertit au judaïsme, à partir de maintenant et jusqu’à la fin des temps… est un disciple de notre père Abraham… le père de tout prosélyte… Il n’y a aucune différence entre nous et vous dans aucune de ces questions.
Le ger, autrement dit, est appelé ben Avraham avinu afin de proclamer qu’il est l’un des nôtres et qu’il fait partie de notre famille, afin d’affirmer que le juif par choix et le juif par naissance jouissent du même statut religieux aux yeux de Dieu et du peuple juif.
Le nom du converti : Une source d’embarras ? Selon notre tradition, le nom ben/bat Avraham ve-Sarah est donc un puissant symbole d’inclusion, d’appartenance pleine et égale du prosélyte à l’alliance d’Israël. Il est donc décevant de constater que pour la personne mentionnée dans notre she’elah, ce nom est devenu une cause de gêne. La gêne qu’elle ressent justifie-t-elle le changement de son nom ? Il est vrai que la Torah nous avertit de ne pas opprimer le ger (Lev. 19:33) et que la tradition comprend cette oppression comme ona’at devarim, la gêne verbale : c’est-à-dire que nous ne devons pas mépriser le prosélyte en mentionnant ses origines païennes. Pourtant, cette interdiction a toujours fait référence à l’insulte gratuite, à la tentative consciente et intentionnelle de faire honte. Il n’a jamais été compris comme un argument pour changer le nom traditionnel du prosélyte, et il ne pourrait pas l’être, puisque attribuer la lignée spirituelle d’une personne à Abraham et Sarah est l’un des plus grands compliments que nous puissions lui faire. Il nous est en effet interdit d’embarrasser le Juif-par-choix, mais l’appeler “l’enfant d’Abraham et de Sarah”, cependant, n’est absolument pas une question d’embarras ou de honte.
On pourrait répondre, bien sûr, que la honte est dans l’œil de celui qui regarde, que ce Juif-par-choix ressentirait un sentiment d’embarras lorsque son nom juif est lu à la synagogue, et qu’elle a donc le droit de modifier ce nom. Pourtant, nous pensons qu’une telle démarche est précisément la mauvaise solution à son problème. Bien que nous ne mettions pas en doute la sincérité de ses sentiments, nous soupçonnons que son embarras a moins à voir avec son nom juif qu’avec certains doutes non résolus qu’elle peut encore nourrir au sujet de sa décision de se convertir et de son effet sur les membres de sa famille. Si c’est le cas, notre réponse doit être pastorale. Son rabbin devrait travailler avec elle pour l’aider à résoudre les tensions associées à ce choix. Par ailleurs, son embarras peut être dû à des facteurs externes ; peut-être la communauté n’a-t-elle pas été aussi accueillante et tolérante à son égard qu’elle aurait pu et dû l’être. Dans ce cas, la réponse appropriée est encore une fois une réponse pastorale. Le rabbin doit travailler avec la communauté pour explorer les raisons de cette situation et lui rappeler son devoir d’aimer le Juif par choix comme l’un des siens. La modification du nom, en revanche, ne l’aide en rien à faire face à ces problèmes. Il lui permet simplement de cacher le fait de sa conversion, un acte qui ne contribue en rien à sa saine adaptation à son statut de juif. C’est un acte, en outre, qui a les connotations les plus négatives pour nous en tant que Juifs, et en particulier en tant que Juifs réformés, membres d’un mouvement qui s’est engagé en faveur de l’ouverture et de la pleine inclusion du Juif par choix dans notre communauté. Nous ne croyons pas que la conversion soit quelque chose à cacher, une source d’embarras. Nous croyons plutôt, comme la tradition nous l’enseigne, que le nom ben/bat Avraham avinu ve-Sarah imeinu est un insigne d’honneur et de respect, accordé avec amour et admiration, qui doit être porté avec satisfaction et fierté.
Le Juif-par-choix et ses parents. Le Juif-par-choix peut-il remplacer Avraham et Sarah par les noms de ses parents réels, même s’ils restent non-juifs ? Il est vrai que le prosélyte est tenu de rendre hommage à ses parents en signe d’amour et de gratitude pour tout ce qu’ils ont fait pour élever, soigner et éduquer leur enfant. Mais ce devoir ne concerne pas la question du nom. Le “nom hébreu” par lequel on est appelé à la synagogue est plus justement appelé un nom juif. C’est un nom d’alliance, une déclaration selon laquelle celui qui le porte est un membre de la communauté qui s’est tenue au Sinaï pour recevoir la Torah. Dans ce nom d’alliance, les noms des parents ne témoignent pas simplement de la lignée biologique d’une personne. Ils enregistrent plutôt le fait que c’est par ces parents que cette personne a été introduite dans le berit (alliance) entre Dieu et Israël. Les parents de cette juive par choix lui ont sûrement donné de l’amour et de l’attention et lui ont enseigné un grand nombre des valeurs qui la font vivre. Mais ils ne lui ont pas enseigné la Torah ; ils ne l’ont pas fait entrer dans l’alliance. En tant qu’adulte, c’est une décision qu’elle a prise seule, et pour cette raison, ses parents d’alliance, ceux dont elle revendique légitimement la descendance juive, sont Abraham et Sarah, dont on nous dit qu’ils ont amené de nombreux chercheurs comme elle sous les ailes de la présence de Dieu.
Conclusion. Lorsqu’une personne choisit de devenir juive, elle reçoit le nom ben/bat Avraham avinu ve-Sarah imeinu, signifiant qu’elle est l’une des nôtres et ne fait qu’un avec nous, un partenaire à part entière de la communauté d’Israël et de son alliance avec Dieu. C’est une déclaration importante de notre croyance religieuse, de notre compréhension de la signification de la conversion et de l’expérience juive. C’est une marque de respect et d’honneur. Ce n’est pas une cause d’embarras, ni un signe que le prosélyte a rompu les liens avec sa famille païenne. Toutes les difficultés que le Juif par choix rencontre en rejoignant notre peuple doivent être affrontées franchement et sérieusement, mais ce serait une grave erreur d’essayer de résoudre ces problèmes en modifiant son nom juif.
NOTES
- L’ajout de “et Sarah notre mère”-ve-Sarah imeinu- est une innovation des dernières décennies. Néanmoins, un soutien pour cette innovation peut être trouvé dans Tosafot, Chagigah 9b, s.v. bar : Bar He He était, selon certaines opinions, un converti, “c’est-à-dire le fils d’Abraham et de Sarah, pour lequel la lettre hébraïque heh a été ajoutée à son nom.”
- Shulchan Arukh EHE 129:20. La question ici est le nom correct pour un ger dans son acte de divorce (get).
- Resp. Harosh 15:4. Karo fournit cette identification dans son ouvrage plus long, le Beit Yosef à Tur EHE 129 (dans la section Hilkhot Gitin, fol. 29b, vers la fin de la première colonne).
- M. Bikurim 1:4 et Bartenura ad loc. Voir aussi Sifrei au Deutéronome, ch. 299.
- PT Bikurim 1:4 (64a), et voir Bartenura à M. Bikurim 1:4. Comparez également Maïmonide, Commentaire de M. Bikurim 1:4 : Abraham a enseigné la foi en Dieu au monde entier et est donc le père de tous.
- La deuxième bénédiction de birkat hamazon contient les mots “Tu as légué à nos ancêtres une bonne terre…”, et la première bénédiction de la tefilah, la prière centrale du service religieux, dit “notre Dieu et le Dieu de nos ancêtres”. Les autorités comprennent Rabbeinou Tam (Tosafot Bava Batra 81a, s.v. lema`utei), le Or Zaru`a, Hilkhot Tefilah, ch. 107, et les rabbins du Würzburg médiéval, en Allemagne, qui empêchaient les convertis de servir comme chefs de culte (Mordekhai, Megilah, ch. 786).
- Yad, Bikurim 4:3. Le Yerushalmi lui-même fait tout son possible pour rejeter la position énoncée dans la Mishnah, citant un enseignement de R. Yehoshua b. Levi selon lequel la halakha suit Rabbi Yehudah et une décision à cet effet de R. Abahu dans un cas réel (impliquant la prière, semble-t-il, puisque les bikurim n’étaient plus offerts à cette époque).
- Voir le Shulchan Arukh OC 53:19 : l’opinion selon laquelle le ger ne peut pas servir de sheliach tzibur a été “rejetée”. Parmi ceux qui adoptent cette position figurent R. Yitzchak de Dampierre (Tosafot, Bava Batra 81a, s.v. lema`utei) ; Nachmanide (Chidushei Haramban à Bava Batra 81a) ; R. Shelomo b. Adret (Chidushei Harashba à Bava Batra 81a) ; R.. YomTov ibn Ishbili, (Chidushei Haritva, Makot 19a) ; R. Nissim Gerondi (Chidushei Haran, Bava Batra 81a).
- Resp. Harambam, éd. Blau, n° 293 (n° 42 dans l’édition Friedman). Dans ce responsum, Rambam répète la décision rapportée dans son commentaire de M. Bikurim 1:4 : la halakha ne suit pas la Mishnah mais plutôt la décision du Talmud Yerushalmi.
- Voir R. Benzion Meir Hai Ouziel, Resp. Mishpetei Ouziel II, Yore De`ah, no. 59 : le nom ben Avraham avinu fonctionne pour établir la décision halakhique (lehorot) selon laquelle le prosélyte a le droit “de diriger l’office de prière et la birkat hamazon, de dire ‘notre Dieu et le Dieu de nos ancêtres’ et ‘nous te remercions ô Dieu d’avoir légué une bonne terre à nos ancêtres’.'”
- BT Bava Metzi`a 58b-59a ; Yad, Mekhirahh 14:12-13 ; Shulchan Arukh CM 228:1-4.
- Exemples (voir les sources citées dans la note précédente) : “vois comment celui qui a jadis mangé des choses impures cherche à remplir sa bouche de paroles de Torah !” ; “souviens-toi des actes (c’est-à-dire , l’idolâtrie) de tes ancêtres.
- Deut. 10:19 ; Yad, De`ot 6:4.
- Voir BT Yevamot 22a : bien que considéré en principe comme un “enfant nouveau-né”, un ger ne doit pas ignorer les devoirs moraux qu’il observait en tant que non-juif, “de peur que l’on dise que (le ger) est descendu d’un degré supérieur de sainteté à un degré inférieur” ; Yad, Mamrim 5:11 ; Shulchan Arukh YD 241:9. Sur la nature de la mitsva d’honorer ses parents comme une expression de gratitude pour avoir élevé et pris soin de l’enfant, voir Teshuvot for the Nineties, no. 5753.12 (pp. 201-207), “Kaddish for Adoptive and Biological Parents.”
- Voir, par exemple, le service de berit milah et le service d’alliance pour une fille dans le CCAR Rabbi’s Manual (1988), pp. 12 et 21 respectivement : le nom de l’enfant est conféré par la formule veyikarei shemo/a beyisrael, “son nom en Israël sera…”. Voir aussi à la p. 208, le service de la conversion : “et à partir de ce moment, tu seras connu dans la communauté juive sous le nom de ____ Ben/Bat Avraham veSara.”
- Il s’agit d’une distinction importante : si un enfant mineur se convertit en même temps que le ou les parents, l’enfant peut être appelé fils ou fille du ou des parents, puisque ce sont ces derniers qui enseignent effectivement la Torah à l’enfant. Voir le responsum de R. Ouziel cité dans la note 10, et R. Gedalyah Felder, Sefer Nachalat Tzvi (Toronto, 1978), I, 124-125. Ce n’est pas le cas dans notre she’elah, qui traite d’une prosélyte adulte qui n’a pas appris le judaïsme de ses parents.
- Voir Bereshit Rabah 39:14 et Rachi à Gen. 12:5), sur “toutes les âmes qu’ils avaient obtenues à Haran” : amener les gens au judaïsme équivaut à les créer, à leur donner la vie.
Si nécessaire, veuillez consulter les Abréviations utilisées dans les Responsa du CCAR.