Huit ans se sont écoulés depuis l’intervention militaire dirigée par l’OTAN en Libye. De nombreux analystes considèrent cette action comme une avancée cruciale pour protéger les civils des atrocités qui menacent. Mais aujourd’hui, la Libye est plus éloignée que jamais de la paix.
Depuis avril 2019, les batailles entre le gouvernement d’entente nationale (GNA) parrainé par l’ONU et l’armée nationale libyenne du général Khalifa Haftar font rage à Tripoli. Fin juillet, on estime que 1 100 personnes ont été tuées et 104 000 autres déplacées.
Début juillet, une frappe aérienne sur le centre de détention de migrants de Tajoura, près de la capitale libyenne Tripoli, aurait tué plus de 50 civils et en aurait blessé 130. Lorsqu’une frappe avait atterri à proximité du centre six semaines auparavant, Amnesty International avait mis en garde contre les dangers encourus par les détenus. Leurs avertissements ont été ignorés et 610 migrants se sont retrouvés piégés à Tajoura lorsqu’une bombe a frappé. Selon un médecin travaillant pour Médecins sans frontières, il y avait “des corps partout, et des parties de corps qui dépassaient de sous les décombres”.
Comme le relate notre nouveau livre, la bataille d’aujourd’hui pour Tripoli est la dernière d’une longue série d’horreurs. La Libye post-intervention a fait face à un effondrement politique et économique, avec 7 578 morts violentes enregistrées entre 2012 et 2018. Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées et les armes se sont répandues dans la région.
Alors que les actes de violence spectaculaires dominent les gros titres, les horreurs auxquelles sont confrontés les civils en Libye sont routinières et quotidiennes. Les migrants sont laissés à mourir de maladies traitables dans d’affreux centres de détention. Un migrant en Libye, écrivant anonymement pour The Independent, a déclaré : “Nous paniquons tous les jours, nous mourons lentement, à cause de trop de dépression et de famine.”
À la fin du mois de novembre 2017, le commissaire à la migration de l’Union européenne, Dimitris Avramopoulos, a déclaré être, “conscient des conditions épouvantables et dégradantes dans lesquelles certains migrants sont détenus en Libye”. Et pourtant, les violations extrêmes des droits de l’homme sont toujours activement permises par les politiques européennes.
Les missions de sauvetage humanitaire ont été criminalisées, laissant les gens se noyer en Méditerranée. Les migrants capturés en mer sont renvoyés dans des centres de détention, dont 90 qui ont été forcés de retourner à Tajoura quelques jours seulement après la frappe aérienne.
Augmentation de la violence
Ghassam Salame, représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU et chef de la Mission d’appui des Nations unies en Libye, rapporte que “le soutien extérieur a joué un rôle dans l’intensification des frappes aériennes”.
L’ONU enquête actuellement sur des allégations selon lesquelles les Émirats arabes unis ont fourni des armes à Haftar en violation d’un embargo sur les armes de l’ONU, et des armes françaises ont été trouvées dans une base de Haftar. Parallèlement, la Turquie fournit des armes aux combattants du GNA.
Le G7 et l’ONU ont condamné la violence en Libye. Dans la pratique, cependant, les actions de certains de leurs membres alimentent les tueries et empêchent une action diplomatique coordonnée.
On dit souvent que la Libye montre la nécessité d’une planification post-intervention plus robuste des interventions militaires humanitaires. Cette affirmation est trompeuse. Au contraire, la situation met en évidence la nécessité d’une nouvelle réflexion sur la protection des civils.
La question de l’intervention émerge généralement à ce moment dramatique où les civils sont menacés par une violence extrême. Les atrocités quotidiennes du type de celles que l’on observe aujourd’hui en Libye sont souvent mises de côté : des civils risquent de mourir de faim, de mourir de maladies traitables et d’être tués par des politiques sans scrupules. Il ne s’agit pas seulement d’une atrocité en soi. Comme le montrent nos recherches, cela crée également un habitat idéal pour les atrocités de masse, notamment le génocide et le nettoyage ethnique. Au lieu d’appeler à une action militaire lorsque des crimes d’atrocité se produisent, nous devrions nous concentrer sur la lutte contre les injustices qui contribuent à les créer.
On oublie également le rôle que joue la communauté internationale dans l’alimentation des conflits en attisant les divisions et en vendant des armes. La France a fourni au Rwanda des armes utilisées pour commettre le génocide en 1994. Une commission d’experts française enquête actuellement sur les allégations selon lesquelles la France aurait également fourni une formation militaire aux auteurs du génocide. Des armes américaines et britanniques sont utilisées contre des civils yéménites. En outre, les membres de la communauté internationale ont soutenu différents camps dans la guerre civile syrienne.
Autres options
Les événements en Libye montrent ce qui peut arriver lorsque les acteurs internationaux prétendent faire de bonnes choses par le biais d’une action militaire. Pour empêcher de futures atrocités, la communauté internationale doit reconnaître l’absurdité de larguer des bombes pour protéger les gens tout en détenant des migrants au centre des zones de guerre, en faisant du trafic d’armes et en empêchant les missions de sauvetage.
L’intervention militaire ne protège pas les civils. Nous devrions demander à la communauté internationale de changer leurs politiques impitoyables qui tuent chaque jour. Nous devrions exiger qu’ils cessent d’alimenter les crimes d’atrocité. Et nous devrions soutenir les formes non violentes de protection, comme le maintien de la paix par des civils non armés, qui ont prouvé leur efficacité en Colombie, au Soudan du Sud, au Kosovo et au Sri Lanka.
Soutenir une intervention militaire donne une licence supplémentaire au militarisme de ceux qui attisent déjà les flammes de l’atrocité. Cela ne fera qu’accroître la violence que l’on voit aujourd’hui en Libye.