L’implantation de stents à élution médicamenteuse (DES) est devenue un traitement standard pour la prise en charge des patients atteints de maladie coronarienne (1). Des millions de patients dans le monde entier subissent chaque année une pose de stent coronaire. L’utilisation d’une double thérapie antiplaquettaire est d’une importance capitale pour la prévention de la thrombose des stents coronaires (2). Les directives cliniques actuelles recommandent un traitement d’au moins 6 à 12 mois après l’implantation d’un DES, mais une durée plus longue de la double thérapie antiplaquettaire (DAPT) pourrait être bénéfique. Il est intéressant de noter qu’il existe une différence légère mais significative entre les directives européennes et américaines, les européennes recommandant 6 à 12 mois, les américaines recommandant au moins 12 mois après l’implantation du DES (3,4). En effet, les récentes directives de la Société européenne de cardiologie suggèrent qu’une DAPT de 6 mois est raisonnable après l’implantation d’un DES de deuxième génération chez les patients présentant une coronaropathie stable (3). La question de l’arrêt de la DAPT est un problème quotidien important pour de nombreux cliniciens. Dans la pratique clinique quotidienne, il faut décider de la durée optimale de la DAPT pour un patient donné. Plusieurs essais randomisés comparant différentes durées de DAPT ont été réalisés, et plusieurs méta-analyses ont déjà été publiées, démontrant l’importance de ce sujet en cardiologie (5-9).
Dans ce contexte, le rapport de l’American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Clinical Practice Guidelines on Duration of Dual Antiplatelet Therapy in patients with Coronary Artery Disease est important et pose trois questions cruciales sur la durée optimale de DAPT après implantation de DES de nouvelle génération (10). La première est la durée minimale de la DAPT requise après l’implantation d’un DES, la deuxième concerne le bénéfice clinique de la prolongation de la DAPT jusqu’à 18 à 48 mois, la troisième est l’effet clinique sur la DAPT chez les patients stables qui ont >1 an après un infarctus du myocarde.
A propos de la durée minimale de la DAPT requise après l’implantation d’un DES, le rapport a montré qu’une DAPT d’une durée de 12 mois, par rapport à un traitement d’une durée de 3 à 6 mois, n’était associée à aucune différence en matière de décès, d’hémorragie majeure et de thrombose de stent. Il convient toutefois de noter que seuls deux des essais traitant de cette question ont comparé une durée très courte de 3 mois à une durée plus longue (11,12). De plus, dans ces deux essais, les patients étaient à faible risque d’événements thrombotiques. Dans le premier, l’essai RESET, 85% des patients inclus avaient un angor stable ou un angor instable, dans le second, l’essai OPTIMIZE, seulement 32% des patients avaient un SCA récent à faible risque. Par conséquent, il existe toujours une incertitude quant à la sécurité d’une durée très courte (3 mois) de DAPT après DES. Il est important de noter que le contexte dans lequel le stent est implanté est crucial.
Bien que la durée optimale de la DAPT chez les patients souffrant de SCA soit controversée, il existe un consensus général sur le fait que chez les patients souffrant de SCA, la DAPT devrait être recommandée pendant au moins 1 an. Il semble donc prématuré de recommander une durée très courte de la DAPT chez les patients souffrant de SCA et chez les patients présentant un risque thrombotique élevé. Il est cependant vrai que les preuves soutenant la recommandation sur la durée de la DAPT après un SCA reposent sur un seul essai randomisé (l’essai CURE) réalisé lorsque les patients atteints de SCA étaient traités de manière conservatrice, et avec soit une angioplastie par ballonnet, soit des stents métalliques nus (13).
Le deuxième point controversé du rapport est l’effet bénéfique clinique possible de la prolongation de la DAPT jusqu’à 18 à 48 mois. En fait, seuls quatre essais randomisés ont comparé de manière prospective 12 mois de DAPT avec une durée plus longue après la pose d’un DES (14-17). L’essai DAPT a inclus le plus grand nombre de patients. L’analyse a montré qu’une DAPT prolongée réduit significativement les risques d’infarctus du myocarde et de thrombose de l’endoprothèse mais augmente le risque d’hémorragie majeure. Il existe en effet un équilibre difficile entre la réduction des événements thrombotiques et l’augmentation des hémorragies. Les auteurs du présent rapport ont effectué une analyse risques-avantages et ont constaté qu’avec une durée de DAPT plus longue, il n’y avait pas de différence significative dans l’incidence des décès toutes causes confondues, trois thromboses de stent en moins (IC 95 % : 2-5) et six infarctus du myocarde en moins (IC 95 % : 2-11) mais cinq hémorragies majeures en plus (IC 95 % : 3-9) pour 1 000 patients par an. Il n’est donc pas surprenant que des efforts aient été faits pour identifier les facteurs permettant de prédire si les bénéfices attendus de la prolongation du DAPT l’emportent sur l’augmentation redoutée des saignements. Récemment, Yeh et al. ont mis au point un outil de décision clinique pour identifier ces patients (18). En utilisant la grande étude DAPT, une règle de prédiction a été dérivée, stratifiant les patients en fonction de leurs risques ischémiques et hémorragiques. La validation a été à la fois interne et externe. Comme l’étude DAPT a randomisé des patients sans événements thrombotiques ou hémorragiques au cours de la première année après la pose d’un stent, le score DAPT qu’ils ont dérivé ne s’applique qu’à ces patients à risque relativement faible. De plus, les auteurs ont reconnu que leur règle de prédiction évaluant les risques concernant la poursuite du DAPT n’a montré qu’une précision modeste. Néanmoins, il est intéressant de noter que parmi les différentes variables du score DAPT, l’âge est un facteur important, et en particulier un âge >75 ans est affecté d’un coefficient de -2. En d’autres termes, plus votre patient est âgé, plus vous devez être prudent si vous envisagez de prolonger le DAPT. Il semble qu’une durée prolongée de la DAPT soit possible chez les patients à faible risque hémorragique qui ont toléré la DAPT la première année après la pose d’un stent.
La troisième question concerne l’effet clinique de la DAPT chez les patients stables, plus d’un an après un infarctus aigu du myocarde. Les auteurs de la revue concluent que l’utilisation de la DAPT plus d’un an après un infarctus du myocarde réduit le risque composite de décès cardiovasculaire, d’infarctus du myocarde ou d’accident vasculaire cérébral mais augmente le risque d’hémorragie majeure. Une fois encore, l’équation est difficile mais dans l’essai DAPT, le bénéfice d’une DAPT prolongée était accentué chez les patients présentant un infarctus à la présentation (19). Ceci est également reflété par le score DAPT dans lequel le myocarde à la présentation au moment de l’ICP et l’infarctus du myocarde antérieur sont pris en compte. Mais dans cette situation également, l’utilisation d’un DAPT prolongé requiert de la prudence étant donné le risque accru de saignement.
Il faut noter que les différents essais analysés dans le rapport de Bittl et al. ont inclus des patients chez qui on a implanté principalement des DES de nouvelle génération. La justification d’une durée prolongée de DAPT n’est que partiellement la prévention de la thrombose de l’endoprothèse, qui est remarquablement rare avec les endoprothèses de dernière génération, mais aussi la prévention d’événements ischémiques non liés à la lésion coronaire index (17). Les DES de dernière génération sont associés à un risque de thrombose de stent environ deux fois moins élevé que celui des DES de première génération, comme le rapportent Bittl et al. (10).
En conclusion, la décision de poursuivre ou d’interrompre la DAPT reste difficile. Elle dépend des risques hémorragiques et ischémiques qui évoluent également dans le temps. La durée de la DAPT n’a pas toujours été recommandée au moment de l’implantation du stent. La règle d’un an de traitement DAPT après la pose d’un stent ne s’applique plus à chaque patient. Chez les patients traités par DES de nouvelle génération pour une maladie coronaire stable, 6 mois (et peut-être 3) de DAPT est une option. D’autre part, chez les patients à faible risque hémorragique, après 1 an sans événement cardiovasculaire après DES, l’extension de la DAPT au-delà de 12 mois pour prévenir l’infarctus du myocarde peut être optimale. Cependant, il est possible d’améliorer les stratégies de stratification du risque.