Les parents et les soignants sont souvent très préoccupés par les fièvres chez les enfants et sont souvent mal informés sur les effets bénéfiques des températures corporelles élevées (1-4). La considération la plus importante dans la prise en charge d’un enfant fébrile est de déterminer, si possible, la cause de la fièvre. Traiter la fièvre elle-même, pour apporter un soulagement symptomatique, est important si l’enfant est mal à l’aise.
Alterner l’acétaminophène et l’ibuprofène pour réduire la température est une pratique courante, une étude rapportant que 50% des pédiatres interrogés recommandaient cette combinaison (5). Étant donné que l’acétaminophène est le plus souvent administré à une dose de 10 mg/kg à 15 mg/kg toutes les 4 h et l’ibuprofène à une dose de 10 mg/kg toutes les 6 h, un régime simple d’alternance n’est pas évident (6). La confusion des parents et des praticiens peut entraîner des surdosages accidentels (5, 7).
Trois rapports de cas d’insuffisance rénale réversible avec cette association suggèrent une interaction médicamenteuse théorique (8, 9). Les anti-inflammatoires non stéroïdiens inhibent la synthèse des prostaglandines, ce qui réduit la production de glutathion et la perfusion rénale. Les métabolites oxydatifs de l’acétaminophène sont détoxiqués par conjugaison avec le glutathion. Par conséquent, lorsqu’ils sont administrés simultanément, ces métabolites peuvent s’accumuler dans la médulla rénale et provoquer une nécrose tubulaire et une toxicité rénale, bien que cela n’ait jamais été prouvé (8). Plusieurs études ont été réalisées pour évaluer l’efficacité et la sécurité de l’alternance de ces antipyrétiques.
Une étude multicentrique en double aveugle (10) menée en Inde a inclus 89 patients hospitalisés âgés de un à trois ans, avec une température axillaire d’au moins 38,5ºC. Les patients ont été répartis au hasard pour recevoir de l’acétaminophène 10 mg/kg, du nimésulide 1,5 mg/kg ou une combinaison d’acétaminophène 10 mg/kg et d’ibuprofène 10 mg/kg. Dans chaque régime, les médicaments étaient administrés trois fois par jour. Les enfants étaient épongés si des températures supérieures à 39,5ºC persistaient pendant plus de 2 h. Si la température de l’enfant ne diminuait pas, on lui donnait alors de l’ibuprofène 10 mg/kg. Les relevés de température ont été enregistrés à des intervalles prédéterminés pendant cinq jours, et aucune différence statistiquement significative n’a été constatée entre les groupes à quelque moment que ce soit.
Une étude randomisée en double aveugle (11) a été menée auprès de 480 patients ambulatoires israéliens âgés de six à 36 mois, dont la température rectale était d’au moins 38,4 ºC. Les chercheurs ont conclu que l’alternance d’un traitement à l’aérosol et d’un traitement à l’ibuprofène était bénéfique pour la santé. Les investigateurs ont conclu que l’alternance d’acétaminophène 12,5 mg/kg et d’ibuprofène 5 mg/kg toutes les 4 h entraînait moins de doses d’antipyrétiques, moins de récidives de fièvre aux jours 5 et 10 et moins d’absentéisme à la garderie que la monothérapie avec soit de l’ibuprofène 5 mg/kg toutes les 8 h, soit de l’acétaminophène 12,5 mg/kg toutes les 6 h (P < 0,001). Tous les patients ont été répartis au hasard pour recevoir une dose de charge d’acétaminophène 25 mg/kg ou d’ibuprofène 10 mg/kg. Les schémas thérapeutiques utilisés dans les trois bras de traitement et l’utilisation de doses de charge diffèrent de la pratique habituelle. Il est intéressant de noter qu’aucun des patients ne répondait à la définition des auteurs d’être afébrile après la période de traitement de trois jours. Certains enfants ont présenté des élévations légères et transitoires des tests de la fonction hépatique ou rénale, mais il n’y avait pas de différences significatives entre les groupes, et tous les niveaux se sont normalisés dans les 14 jours. L’aveuglement a été compromis par des intervalles de dosage différents dans chaque groupe de l’étude. Il n’est pas clair si les parents ont reçu des instructions concernant le moment de l’administration du médicament et de la prise de température, ce qui peut avoir invalidé les températures rapportées. Sur la base de ces limitations, les résultats de cette étude sont quelque peu douteux.
Peu de temps après, une étude pilote en double aveugle (12) menée au Liban a assigné au hasard 70 patients hospitalisés âgés de six mois à 14 ans, avec des températures rectales d’au moins 38,8ºC, pour recevoir une dose unique d’ibuprofène 10 mg/kg suivie 4 heures plus tard par une dose unique d’acétaminophène 15 mg/kg ou un placebo. Davantage de patients du groupe d’intervention étaient afébriles 6 h après l’administration du premier médicament (83,3 % contre 57 % ; P = 0,018) et le délai avant la réapparition de la fièvre était plus long (7,4 h contre 5,7 h ; P < 0,001). La taille calculée de l’échantillon n’a pas été atteinte en raison de la difficulté à recruter des patients. Aucun effet indésirable n’a été signalé dans cette étude. Cet essai comportait de graves lacunes étant donné que l’efficacité de deux doses d’antipyrétique était comparée à celle d’une seule dose.
Une étude randomisée en aveugle (13) menée au Royaume-Uni a évalué l’acétaminophène à 15 mg/kg, l’ibuprofène à 5 mg/kg ou les deux administrés simultanément chez 123 enfants âgés de six mois à 10 ans, présentant une température tympanique d’au moins 38ºC et se présentant à un service d’urgence. Les patients ayant reçu l’association ont connu une réduction de température de 0,35ºC supérieure à celle de l’acétaminophène en monothérapie 1 heure après l’administration du médicament (P = 0,028). Ce résultat était statistiquement significatif mais n’est probablement pas cliniquement significatif. Il n’y avait pas de différence entre l’association et l’ibuprofène seul ou entre l’un ou l’autre des régimes de médicament unique.
Les défauts de conception des études réalisées à ce jour limitent la fiabilité et la généralisation des résultats. Néanmoins, les études ont uniformément constaté que l’alternance acétaminophène et ibuprofène apporte peu ou pas d’avantages par rapport à la monothérapie. Par conséquent, à l’heure actuelle, la monothérapie doit être considérée comme le traitement de première intention. Une méta-analyse récente (14) a conclu qu’une dose unique d’ibuprofène (5 mg/kg à 10 mg/kg) est supérieure à une dose unique d’acétaminophène (10 mg/kg à 15 mg/kg) pour le traitement de la fièvre. Cette méta-analyse n’a pas abordé les effets des doses répétées, qui sont le plus souvent utilisées en médecine générale. En outre, il existe plusieurs populations de patients pour lesquelles l’ibuprofène ne serait pas approprié.
La phobie de la fièvre est très répandue. Pas moins de 91 % des soignants pensent que des températures élevées peuvent avoir des effets néfastes, 85 % d’entre eux déclarant qu’ils réveilleraient leurs enfants pour leur administrer des antipyrétiques (1). Recommander l’utilisation de deux antipyrétiques peut donner la fausse impression que le contrôle des fièvres présente un avantage clinique ou peut prévenir les crises fébriles (15,16). Par conséquent, la rééducation des soignants devrait être une priorité. Dans une revue similaire à la nôtre, Hay et al (17) ont reconnu la dichotomie entre les preuves actuelles et les désirs des cliniciens et des soignants de traiter les enfants fébriles. Ils ont conclu que, bien que le traitement combiné ne doive pas être refusé à tous les enfants, “il faut conseiller aux parents d’utiliser le traitement minimal nécessaire”
Dans les rares cas où le patient a échoué à la monothérapie, et où l’alternance acétaminophène et ibuprofène peut être indiquée, les parents doivent recevoir des instructions claires sur la façon d’alterner, et les patients doivent être étroitement surveillés pour s’assurer qu’ils sont bien hydratés. L’alternance des antipyrétiques doit être utilisée avec prudence, en particulier chez les patients atteints de maladies chroniques, et la durée doit être limitée pour minimiser le risque d’effets indésirables. Pour la grande majorité, le traitement par acétaminophène ou ibuprofène en monothérapie devrait suffire à assurer le confort des patients pédiatriques fébriles.